Umberto Eco, Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs (1996) (Six Walks in the Fictional Woods, 1994) |
Chacun a son Paris de soi-même, avec les lieux préférés où on revient plusieurs fois. Chacun a ses David Copperfield, La guerre et la paix, Les misérables, avec les extraits bien-aimés qu'on lit et relit toute la vie. Chacun a son Umberto Eco. Eco le linguiste et le sémioticien, Eco le romancier, l'auteur de Le Nom de la rose et Le Pendule de Foucault. Pour moi, c'est toujours Eco le théoricien de la littérature, l'auteur de Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs, De la littérature, Lector in fabula et des autres. Écrivain prolifique, Umberto Eco typiquement publiait un nouveau œuvre chaque année de ma vie adulte, et on ne pouvait pas imaginer un monde sans ses œuvres qu'on attend paraitre.
C'est pourquoi notre perte aujourd'hui est autant immense. En 1910, la mort de Tolstoï a bouleversé la Russie entière, peut être le monde entier. Dans son livre autobiographique Autres rivages, Vladimir Nabokov, qui avait 11 ans en 1910, se souvient du moment où l'on a appris la nouvelle de la mort du grand écrivain russe, pendant ce que la famille Nabokov était à l'étranger :
« "Tolstoy vient de mourir," [Nabokov's father] suddenly added, in another, stunned voice, turning to my mother.
"Da chto ty [something like ‘good gracious’]!" she exclaimed in distress, clasping her hands in her lap. "Pora domoj [Time to go home]," she concluded, as if Tolstoy's death had been the portent of apocalyptic disasters. » (Vladimir Nabokov, Speak, Memory, p. 195)
C'est comme ça qu'on se sent aujourd'hui, « as if [Eco]'s death had been the portent of apocalyptic disasters ». Pas de nouveaux livres, pas de nouvelles idées du grand écrivain, penseur, universitaire. Et pourtant, comme avec Tolstoï, en manière clairement clichée et clairement vraie, il est toujours parmi nous. Dans la préface écrite pour son livre classique Come si fa una tesi di laurea (How to Write a Thesis, 1977), Eco raconte de sa propre experience avec sa mémoire de master et de son processus de la recherche. Il se souvient que pendant des décennies des années il avait l'impression qu'il a trouvée une des idées les plus importantes pour son travail dans un livre mal connu d'auteur mal connu, l'abbé Vallet. Mais quand Eco a vérifié la citation dans le livre, il a vu que l'idée, en fait, était la sienne tout le temps, étant « simplement » inspirée par les choses écrites par l'abbé Vallet.
Vallet wrote of something else. Stimulated in some mysterious way by what he was saying, I made that connection myself and, and as I identified the idea with the text I was underlining, I attributed it to Vallet. And for more than twenty years I had been grateful to the old abbot for something he had never given me. [...]
But is this really how it is? Is the merit of that idea truly mine? Had I never read Vallet, I would never have had that idea. He may not have been the father of that idea, but he certainly was, so to speak, its obstetrician. He did not gift me with anything, but he kept my mind in shape, and he somehow stimulated my thinking. [...]
As I recalled this episode, I became aware that many times over the course of my readings, I had attributed to others ideas that they had simply inspired me to look for; and many other times I remained convinced that an idea was mine until, after revisiting some books read many years before, I discovered that the idea, or its core, had come to me from a certain author. One (unnecessary) credit I had given to Vallet made me realize how many debts I had forgotten to pay.
[...] I am not sure what the moral of this story is, but I know there is at least one, and it is very beautiful. I wish my readers to find many abbots Vallet over the course of their lives, and I aspire to become someone else's abbot Vallet. (Umberto Eco, How to Write a Thesis)
Je vous remercie, Umberto Eco, pour étant mon abbé Vallet.
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