lundi 13 juillet 2015

Nicolas Boileau (1636 - 1711), Épitre VII (1677)


« Boileau a rendu d'immenses services à notre littérature en dégoûtant son siècle des mauvais auteurs, en lui apprenant à aimer Corneille, Racine, Molière, et en donnant lui-même de beaux modèles d'une poésie pure et parfaite. » [Histoire littéraire, imp. de L. Odieuvre, 1897]
Épitre VII (1677) 
À RACINE 
Que tu sais bien, Racine, à l’aide d’un acteur,
Emouvoir, étonner, ravir un spectateur !
Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,
N’a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que dans l’heureux spectacle à nos yeux étalé
En a fait, sous son nom, verser la Champmeslé.
[...]
Avant qu’un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,
Mille de ces beaux traits, aujourd’hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
[...]
Mais, sitôt que d’un trait de ses fatales mains,
La Parque l’eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa Muse éclipsée.
L’aimable Comédie, avec lui terrassée,
En vain d’un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
[...]

dimanche 12 juillet 2015

Racine (1639 - 1699), Phèdre (1677)

Un des livres préférés de ma bibliothèque est une Anthologie de la poésie française, que mon père m'a apporté de Paris il y a plusieurs années. Cette anthologie est parue en 1941, en pleine deuxième guerre mondiale. Le préfacier du livre, romancier et critique littéraire Marcel Arland, est un peu apologétique du fait que ce livre paraît pendant la guerre : « c'était Ronsard et Vigny, Aubigné et La Fontaine, qui se trouvaient menacés. [...] Voici ceux pour qui nous combattons et qui combattent avec nous. C'est le meilleur de notre pays et de nous-mêmes. »
En parlant de Racine, Arland dit : « Le Racine de la Pléiade fut le premier livre que j'emportai pour la guerre. [...] C'était le meilleur de ce qu'il fallait sauver. C'était le meilleur de la France. »
Alors, le meilleur du meilleur de la France. J'aime bien cette formulation et ce livre.
Phèdre, ACTE premier, Scène première[...]
THÉRAMÈNE
Eh ! depuis quand, seigneur, craignez-vous la présence
De ces paisibles lieux si chers à votre enfance,
Et dont je vous ai vu préférer le séjour
Au tumulte pompeux d’Athène et de la cour ?
Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ? 
HIPPOLYTE
Cet heureux temps n’est plus.
Tout a changé de face,
Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé. 
THÉRAMÈNE
J’entends : de vos douleurs la cause m’est connue.
Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
Dangereuse marâtre, à peine elle vous vit,
Que votre exil d’abord signala son crédit.
Mais sa haine, sur vous autrefois attachée,
Ou s’est évanouie, ou s’est bien relâchée.
Et d’ailleurs quels périls vous peut faire courir
Une femme mourante, et qui cherche à mourir ?
Phèdre, atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire,
Lasse enfin d’elle-même et du jour qui l’éclaire,
Peut-elle contre vous former quelques desseins ? 
HIPPOLYTE
Sa vaine inimitié n’est pas ce que je crains. [...] 

samedi 4 juillet 2015

Molière (1622-73), Quatrains (1665)


Peut-on ne pas aimer Molière ? Je pouvais, et « in absentia », sans même connaître ses oeuvres ! Mais après ce que j'ai lu plusieurs pièces, et spécialement après ce que j'ai vu le magnifique film « Molière », j'ai changé mon avis... Et apparemment, sa poésie est aussi superbe.
Quatrains 
Brisez les tristes fers du honteux esclavage
Où vous tient du péché le commerce odieux,
Et venez recevoir le glorieux servage
Que vous tendent les mains de la Reine des Cieux. 
L’un sur vous à vos sens donne pleine victoire,
L’autre sur vos désirs vous fait régner en rois ;
L’un vous tire aux Enfers et l’autre dans la gloire.
Hélas ! peut-on, Mortels, balancer sur ce Choix ?